Gorgoni (9/8/16)

« Gorgoni » n’est pas seulement le nom d’un bras caché de la rivière auquel on accède par un chemin étroit à flanc de colline descendant depuis le bord de la route jusqu’à un bassin plus étendu, doté de quelque lyrisme grâce à la falaise de roche blanche qui la borde et en fait comme un cirque rocheux de petite taille, où s’étagent les vasques d’eau de formes et de profondeurs variables, de petites cascades, un bassin plus profond, et de larges pierres plates où le chaland peut s’étendre au milieu de ses affaires de bain, c’est surtout le nom d’une épreuve périlleuse qui exige de l’amateur de risquer sa vie pour quelques heures de douceur et de délassement, et une bravade de potache qui fait dire aux initiés, avec le sourire satisfait de l’amateur de l’art de vivre qui vient de s’offrir du bon temps, qu’il revient de Gorgoni, lors même qu’il a failli se rompre le cou dans le sentier caillouteux et étroit qui y mène en frôlant dangereusement le vide, avant de s’épuiser à grands ahans dans l’ascension pénible du retour.

1-2
© Frasca e Cappelli

Cela, en outre, non sans avoir d’abord redoublé d’ingéniosité pour se parquer dans l’un des petits remblais qui bordent alternativement tous les trois ou quatre coudes de la route en lacet qui serpente sur les flancs du col du Muraglione, du côté de la vallée du Montone, eux-mêmes déjà saturés par la cohorte toujours plus nombreuse des initiés de ce lieu de plaisance dont on comprend le succès puisqu’il mesure le plaisir escompté à l’aulne de la pénibilité objective du périple, que ledit plaisir éclipse après l’avoir discrètement empochée en la versant à son propre compte. Les conifères qui habillent les monts de la vallée et qui accroissent encore le ravissement lyrique de la route qui y serpente, formant par ce vallonnement boisé la véritable amplitude du lieu ne retiennent guère l’attention du conducteur qui cherche à se parquer le moins loin possible de Gorgoni, ni du piéton ultérieur qui se précipite impatiemment vers le lieu secret de son désir, ni moins encore de l’intrépide randonneur qui descend maintenant vers la rivière, et pour lequel ceux-ci ne sont plus qu’obstacles et empêchements qui le ralentissent, ni enfin l’attention du nageur zélé de la rivière qui est trop bas pour jouir des contreforts vallonnés.

13542093b
Fiume di Poggio alla Lastra (© Daniele Liverani)

Voilà donc Gorgoni : une pastille délicate et raffinée pour le palais des connaisseurs qui en tirent de longs soupirs de plaisir, à condition de substituer tout au long de l’expérience l’image que l’on s’en donne à la réalité pénible qui lui sert de soubassement effectif, superbement ignorée par l’amateur de saison qui se flatte d’être de ces initiés sachant dénicher les plaisirs les plus précieux, nécessairement hors d’atteinte pour le baigneur ordinaire.

a27b80_31cf8c087d27493aaf601ef688fd9c2d

2 réflexions au sujet de « Gorgoni (9/8/16) »

Laisser un commentaire